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S.D.F.

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De la burle aux alizés

Saltimbanques Des Flots

Les Roques

Tous nos invités ayant rejoint la civilisation, nous partons pour cette destination mythique, contée maintes fois par les navigateurs de tous temps, décrite dans les récits de voyage de tous les aventuriers de la mer. Bienvenue dans le monde des grands, bienvenue aux Roques!

A plusieurs reprises, j'ai employé les mots "féerique, magique, exceptionnel.." afin de qualifier les paysages déjà rencontrés le long du voyage. Au Roques, dans les Bouches de Sébastopol, j'étais debout sur le roof du bateau afin de surveiller les hauts-fonds éventuels et des larmes d'émerveillement ruisselaient sur mes joues!

Nous naviguions sur une bande d'eau saine de couleur bleu foncé, assez étroite, telle un chenal entre deux bandes de couleur bleu turquoise et la route semblait s'être ouverte seulement pour notre passage.
En totale extase et en sérénité relative, Patrick barrait en silence, attendant que je lui indique la voie qui slalomait entre les cayes de couleur marron, ocre ou jaunâtre et le camaïeu de bleu, de turquoise, de jade et d'émeraude.
Cà y est, nous y étions, seuls au bout du monde, dans l'immensité de cet archipel grandiose, resplendissant sous le soleil des tropiques.

Mais Les Roques, c'est avant tout Grand Roque, la seule île habitée de quelques 1500 personnes, desservie par un tout petit aéroport, et ravitaillée par des lanchas, bateaux en bois venant du Vénézuela et livrant toutes sortes de marchandises. Les étals des épiceries se vident à grande allure et le mot "Mañana" se comprend très vite. La lancha arrive "Mañana", c'est à dire "demain", ou "après-demain", ou "la semaine prochaine"! Pour se ravitailler en gazoïl, le problème est le même, demain, ou tout à l'heure, puis cette après-midi, tout correspond à un seul et même mot magique "Mañana"! Il est grand temps que, nous aussi, nous passions en mode "Mañana".

Le village de Grand Roque est un ancien village de pécheurs se muant en village touristique. Des posadas sont aménagées, fort élégamment d'ailleurs,en gites et hôtels et des vénézuéliens, ainsi que quelques européens, viennent en vacances sur cette île, profitent des plages environnantes qu'ils rejoignent pour la journée, glacières et parasols fournis avec la promenade en bateau. Les rues de ce village sont en sable, la plupart des marchandises sont transportées sur des charrettes à bras.

Dans cette baie, le Simon Bolivar,imposant trois-mâts vénézuélien, est ancré pour une courte escale. Accueillis par un équipage sympatique, nous avons droit à une visite guidée. Mais nous ne sommes pas aux "Voiles de la Liberté" et aucune passerelle pour monter à bord! Il faut donc escalader environ trois mètres d''échelle de corde aux barreaux branlicotants, sous les regards amusés des marins et avec leurs encouragements. Heureusement, ils ne se doutent pas que nous sommes entrés illégalement dans leur pays!

Nous ne restons pas longtemps près de cette île où se trouvent également les bureaux des gardiens car nous voyageons en toute clandestinité, les formalités de douane ne pouvant se faire que sur le continent où nous irons sans doute plus tard. Mais nous venons de temps à autre nous promener dans le mouillage, histoire de prendre nos e-mails et de vous donner des nouvelles.

Mais Les Roques, ce sont également une cinquantaine d'îles et de nombreux mouillages dans des criques ou à l'abri des barrières de corail sur lesquelles viennent s'écraser les vagues soulevées par les alizés. Toutes ces îles sont absolument désertes, peuplées d'oiseaux: pélicans, mouettes, fous bruns, fous à pattes rouges..La végétation est rare, quelques cactus, des palmiers disséminés çà et là, de la mangrove attendent les pluies éventuelles.

Mais le charme des Roques est, bien entendu, dans ses fonds sous-marins! Nul besoin ici de bouteilles de plongée pour assister, médusés, au spectacle hallucinant du monde de la mer. Dans deux mètres d'eau, nous admirons balistes, chevaliers, anges royaux, diodons, demoiselles, langoustes et des dizaines de poissons multicolores. La flore est également très diversifiée et les nombreuses éponges, spirographes et coraux s'illuminent dans la clarté de l'eau limpide. L'activité coquillage bât aussi son plein et je collecte de véritables bijoux de plage, polis et blanchis par les vagues ou colorés avec harmonie et raffinement.

Nous allons de mouillage en mouillage, Francesqui, Cayo de Agua et nous avons la chance de rencontrer des bateaux français et de partager avec leurs joyeux équipages mayonnaise et soupe. Nous restons trois semaines dans ce décor de rêve, éblouis de tous ces paysages, de cette immensité sauvage devenue un parc national et protégé depuis une quarantaine d'années.

Notre garde-manger s'appauvrit peu à peu, je confectionne yaourts, fromages blancs et Patrick s'attaque à la fabrication du pain.

Quelle joie pour nous d'être entrés, par la porte des Roques, dans le cercle des marins autonomes!